Quand le parasite de la malaria se fait discret


(ARTICLE PUBLIÉ DANS LES NEWS DE L'EPFL)

13.08.18 - Série d'été. Projet d'étudiants (7/9) - Un étudiant en génie chimique a élaboré un modèle qui simule le métabolisme du parasite de la malaria pendant sa phase de dormance, un stade encore inaccessible pour les médicaments actuels. Cet outil devrait permettre de trouver comment éliminer complètement la maladie.

Avec plus de 200 millions de personnes infectées et presque un demi-million de décès par an, la malaria est une des maladies infectieuses les plus importantes au monde. Si elle est principalement transmise à l’homme via des piqûres de moustiques, les vrais responsables de la malaria sont des parasites du genre Plasmodium.

Heureusement, des médicaments pour soigner la maladie existent, mais ils ne sont pas actifs contre toutes les étapes du cycle de vie du parasite. Une phase de dormance subsiste, encore peu connue, contre laquelle les médicaments actuels ne peuvent rien. Pour tenter d’y remédier, Hugo Frammery a consacré son travail de master à l’étude de cette facette de la vie du parasite. Un travail supervisé par Anush Chiappino-Pepe, post-doctorante au laboratoire de biotechnologie computationnelle des systèmes (LCSB) du professeur Vassily Hatzimanikatis.

Une phase peu connue

Le cycle de vie de Plasmodium est relativement complexe. «Une fois qu’un moustique infecté a piqué un être humain, les parasites vont migrer vers le foie et pénétrer dans ses cellules, les hépatocytes», explique l’étudiant en génie chimique. La majeure partie des parasites va ensuite se multiplier et s’enfermer dans de petites boules, des vésicules qui seront libérées dans la circulation sanguine. Là, ils vont rentrer dans les globules rouges, s’y multiplier à nouveau et provoquer leur éclatement. Tous les deux à trois jours, tous les globules rouges infectés éclatent de façon synchronisée. C’est ce phénomène qui va provoquer les pics de fièvre propre à la malaria. «Chez certaines espèces de Plasmodium, 5 à 15 % des parasites restent dans les cellules du foie en état dormant. Ils ne se multiplient pas et ne passent pas dans le sang, poursuit-il. Mais au bout de quelques mois voire années, les parasites se réveillent et le cycle reprend.» C’est d’ailleurs une des particularités de la malaria : une fois contaminé, le patient n’est pas à l’abri que les symptômes réapparaissent même après avoir été soigné une première fois.

Si on veut pouvoir éliminer complètement la malaria, il est donc essentiel de pouvoir atteindre ces parasites dormants. Hugo Frammery raconte :«Mon but était de caractériser cet état du parasite pour mieux comprendre son fonctionnement et trouver ainsi un moyen de le détruire. Pour cela, j’ai utilisé des méthodes computationelles. J’ai intégré des données expérimentales obtenues en laboratoire à un modèle qui simule le métabolisme du parasite. Avec cet outil informatique, on peut reconstituer l’ensemble des réactions chimiques qui peuvent s’effectuer au sein du parasite.»

De nouvelles cibles médicamenteuses

Concrètement, il s’agit d’intégrer au modèle des hypothèses possibles du fonctionnement du parasite de la malaria dormant. À partir de ces hypothèses et en optimisant le modèle, on obtient certaines zones d’activités dans le métabolisme. Les conditions à avoir pour rendre tel ou tel chemin actif sont connues. Il est ensuite possible de comparer ces résultats avec les résultats expérimentaux pour confirmer, ou non, l’hypothèse de base. Dans le premier cas, le modèle est considéré comme réaliste et on peut utiliser ses résultats pour aller plus loin. Le modèle permet alors de simuler des expériences beaucoup plus rapidement qu’en laboratoire.

L’avantage et l’inconvénient de ce champ de la recherche, c’est la quantité de résultats obtenus. «Il faut maintenant examiner la masse de résultats et déterminer ceux qui permettent d’avoir une approche médicamenteuse», continue-t-il. L’idée est d’identifier tout ce qui est essentiel pour le parasite en stade dormant et qui peut être détruit de manière spécifique, sans causer de dégâts collatéraux. À terme, l’objectif est soit de tuer les cellules dormantes, soit les réveiller pour pouvoir les traiter avec les médicaments existants qui traitent les états non dormants de la malaria.

La portée du projet

C’est la première fois que de telles méthodes computationnelles sont appliquées pour étudier la dormance chez un microbe. Mis à part les découvertes sur les parasites de la malaria, les outils développés pour ce projet pourraient permettre, dans le futur, d’étudier d’autres microorganismes ayant également une phase dormante. C’est notamment le cas de la bactérie de la tuberculose qui infecte aujourd’hui passivement près d’un tiers de la population mondiale.

Ce travail a impliqué une contribution du consortium MalarX.ch, qui implique les Université de Genève, de Berne et de Leiden, ainsi que et le Wellcome Trust Sanger Institute.

dormant

Bref exposé de Hugo (en français)
(video 8 Mo)

Version anglaise

When the malaria parasite goes into hiding


Malaria is one of the most common communicable diseases in the world: every year, more than 200 million people are infected and almost half a million people die from it. While the disease spreads to humans mainly through mosquito bites, the underlying cause is the Plasmodium parasite.

The parasite can be killed by anti-malarial drugs, but these drugs are not effective at all stages of the parasite’s life cycle – in particular the dormant state, which scientists do not yet fully understand. Seeking to fill this gap in our knowledge, Hugo Frammery devoted his Master’s project to this particular aspect of the parasite's life. His work was supervised by Anush Chiappino-Pepe, a post-doc in Professor Vassily Hatzimanikatis’s Laboratory of Computational Systems Biotechnology (LCSB).

A little-known stage

The life cycle of the Plasmodium is relatively complex. “When an infected mosquito bites a human, the parasite finds its way to the liver where it penetrates cells known as hepatocytes,” says Frammery. Most of the parasites then reproduce and become encased in little packages called vesicles that subsequently enter the blood stream. Once there, they enter red blood cells, reproduce again and cause the red blood cells to burst. Every two or three days, all infected red blood cells erupt simultaneously. That’s what causes the fever spikes that are typical of malaria. Frammery notes, “In some Plasmodium species, between 5% and 15% of the parasites remain dormant in the liver cells. They do not reproduce and do not enter the blood stream. But after several months or even years, the parasites wake up and the cycle starts all over again.” Therein lies one of the particularities of malaria: even after being treated, patients are subject to recurring symptoms.

Reaching the dormant parasites is essential to eradicating malaria. “My goal was to characterize the parasite’s dormant state,” says Frammery. “If we can figure out how the parasite works, we can find a way to destroy it. So I used computational methods, feeding experimental lab data into a model that simulates the parasite’s metabolism. With this model, we can reconstruct all the chemical reactions that may take place inside the parasite.”

New drug targets

Frammery uses the model to test hypotheses of how the dormant malaria parasite functions. Refining the model and applying it to these hypotheses, it is possible to identify a number of activity zones in the parasite’s metabolism. Since the conditions required to activate a given path are known, it is possible to compare these results with experimental findings in order to confirm, or refute, the core hypothesis. If the hypothesis is confirmed, the model is considered realistic and its results can be used to move forward.The advantage of models is that they can simulate experiments much faster than labs can carry them out.

Yet this type of research also offers a mixed blessing: the quantity of results obtained. “We now have a huge amount of data to analyze to see whether any of our findings could lead to an effective drug therapy,” he adds. The idea is to identify everything that the parasite requires in the dormant state and that can be specifically destroyed without causing collateral damage. The ultimate goal is to either kill the dormant cells or wake them up so that they can be treated with drugs that work on the malaria parasite in its non-dormant state.

Project scope

This is the first time that computational modeling has been applied to the study of dormancy in microbes. The tools developed to learn more about malaria parasites could one day be used on other microorganisms that also have a dormant state. One such microorganism is the tuberculosis bacterium, which is carried by nearly a third of the world's population.

This project drew on the expertise of MalarX.ch, a consortium that includes the Universities of Geneva, Bern and Leiden, and the Wellcome Trust Sanger Institute.